Un rapport de l’ONU explique les effets « dramatiques » des coupures de l’accès à Internet sur la vie de la population et sur les droits de l’homme.
GENÈVE – Les effets dramatiques concrets des coupures de l’accès à Internet sur la vie des gens et sur les droits humains sont fortement sous-estimés, alerte le HCDH dans un nouveau rapport publié le 23 juin 2022. Le rapport exhorte les États à ne pas imposer ces coupures.
« Trop souvent, des canaux de communication importants, voire des réseaux entiers, sont ralentis ou bloqués », indique le rapport, ajoutant que ces coupures « [privent] des milliers, voire des millions, de personnes de leur seul moyen de joindre leurs proches, de poursuivre leur travail ou de participer aux débats politiques ou à la prise de décisions ».
Ce rapport vise à apporter un éclairage indispensable sur les coupures de l’accès à Internet, en fournissant des informations sur les circonstances et les raisons de telles décisions, et examine dans quelle mesure elles portent atteinte à de nombreux droits de l’homme, en particulier au droit à la liberté d’expression.
Les coupures consistent parfois à bloquer complètement la connexion à Internet, mais il arrive aussi de plus en plus que les États interdisent l’accès à d’importantes plateformes de communication, limitent la bande passante et restreignent le service mobile à la 2G, ce qui entrave le partage et le visionnage de vidéos et la diffusion en direct, entre autres.
Selon le rapport, la coalition #KeepItOn, qui surveille les coupures de l’accès à Internet à travers le monde, a signalé 931 coupures entre 2016 et 2021 dans 74 pays, certains d’entre eux ayant bloqué les communications de façon répétée et sur de longues périodes.
« Les coupures sont des indicateurs très éloquents de la détérioration de la situation des droits de l’homme », souligne le rapport. Au cours de la dernière décennie, elles se sont généralement produites en période d’exacerbation des tensions politiques, au moins 225 coupures ayant été enregistrées lors de manifestations publiques liées à des revendications sociales, politiques ou économiques.
Des coupures ont également été signalées lors d’opérations de sécurité menées par certains gouvernements, limitant fortement le suivi des droits de l’homme et le signalement de leurs violations. Dans le contexte des conflits armés et lors de manifestations de masse, le fait que les gens n’aient pas pu communiquer et signaler rapidement les violations commises semble avoir contribué à accroître l’insécurité et la violence, y compris les graves violations des droits de l’homme.
Il est difficile de recueillir des informations sur ces coupures, car de nombreux gouvernements refusent de reconnaître avoir ordonné des interférences dans les communications et font parfois pression sur les entreprises pour les empêcher de partager des informations sur le blocage ou le ralentissement des communications.
« Dans 228 des cas de coupure enregistrés par des groupes de la société civile dans 55 pays [...], la justification officielle était inconnue », stipule le rapport.
Les autorités qui reconnaissent avoir ordonné ces coupures invoquent souvent la sûreté publique, la lutte contre la propagation de l’incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence, ou la lutte contre la désinformation. Pourtant, le rapport indique que les coupures produisent souvent le résultat inverse, renforçant la peur et la confusion, et alimentant les risques de division et de conflit.
Les coupures de l’accès à Internet entraînent également des coûts économiques importants pour tous les secteurs, en perturbant par exemple les transactions financières, le commerce et l’industrie. Les chocs économiques provoqués par ces coupures se font sentir sur le long terme et exacerbent considérablement les inégalités sociales et économiques préexistantes.
« Les coupures ont pour effet de creuser les fossés numériques entre les pays et en leur sein », alerte le rapport. À l’heure où une aide au développement substantielle est affectée, à juste titre, à l’amélioration de la connectivité dans les pays moins avancés, certains des bénéficiaires de cette aide creusent eux-mêmes la fracture numérique en ordonnant des coupures. Au moins 27 des 46 pays les moins avancés ont imposé des coupures entre 2016 et 2021, la plupart d’entre eux ayant reçu un soutien pour accroître la connectivité.
Le rapport exhorte les États à s’abstenir d’imposer des coupures, à maximiser l’accès à Internet et à supprimer les multiples obstacles à la communication. Il demande également aux entreprises de partager rapidement les informations qu’elles détiennent sur les coupures et de veiller à utiliser tous les moyens légaux à leur disposition pour empêcher la mise en œuvre d’une coupure qui leur a été demandée.
« Les coupures de l’accès à Internet sont apparues alors que le monde numérique est devenu de plus en plus important, voire essentiel, pour la réalisation de nombreux droits de l’homme. De telles coupures causent des dommages incalculables, tant sur le plan matériel que sur celui des droits de l’homme », a déclaré Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme.
« Quand un État coupe l’accès à Internet, la population et les économies en souffrent. Les coûts en termes d’emploi, d’éducation, de santé et de participation politique dépassent presque toujours les avantages espérés. »
« Ce rapport met clairement en évidence le fait qu’une action rapide est nécessaire pour mettre fin aux coupures, notamment en faisant connaître davantage leurs effets, en demandant une plus grande transparence de la part des entreprises concernées, et en veillant à ce que nous défendions tous la connectivité contre les interruptions auto-imposées », a ajouté la Haute-Commissaire.
FIN
Rapport complet : A/HRC/50/55 (un.org)