Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a publié le 25 juillet 2022 deux rapports sur les événements extrêmement troublants survenus récemment en République centrafricaine.
GENÈVE – Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a publié le 25 juillet 2022 deux rapports sur les événements extrêmement troublants survenus récemment en République centrafricaine. Le premier présente en détail les faits entourant l’attaque brutale et organisée d’un village par une milice progouvernementale, tandis que le second décrit comment certains groupes armés ont perpétré des actes récurrents de violence sexuelle de manière systématique et généralisée.
Les deux rapports reposent sur des enquêtes menées par la Division des droits de l’homme de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA).
Le premier rapport décrit comment une milice composée de combattants qui faisaient auparavant partie d’une milice appelée « anti-Balaka » a mené une attaque contre le village de Boyo, dans la préfecture de la Ouaka, du 6 au 13 décembre 2021. Il conclut qu’au moins 20 civils ont été tués, cinq femmes et filles ont été violées, quelque 547 maisons ont été incendiées et pillées, et plus de 1 000 villageois ont été forcés à fuir.
Les miliciens ont utilisé des machettes lors de leur attaque contre des civils non armés. Ils ont également retenu plusieurs centaines de civils durant trois jours dans la mosquée du village et ont menacé de les tuer. L’attaque a apparemment été menée pour cibler et punir la communauté musulmane de Boyo, perçue comme soutenant l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), un groupe armé engagé dans la lutte contre le Gouvernement.
L’attaque du village de Boyo est l’un des premiers cas, durant ce conflit armé prolongé, où le Gouvernement aurait, avec l’aide de membres de sociétés militaires privées, formé et armé des jeunes recrutés localement et créé des milices pour pénétrer dans des villages sous le contrôle de groupes armés. Selon le rapport, du fait de leur connaissance de la région, les recrues locales, formées et guidées par des membres des forces armées de la République centrafricaine et de sociétés militaires privées étrangères, se sont rendues à pied dans le village reculé de Boyo et ont pu identifier leurs victimes.
« Je condamne fermement ces actes horribles. Le Gouvernement doit mettre un terme à toutes les violations, qu’elles soient le fait de ses propres forces, de milices progouvernementales affiliées ou de sociétés militaires privées étrangères, et traduire en justice tous ceux et celles qui sont directement ou indirectement impliqués », a déclaré la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Michelle Bachelet.
Sur la base de plusieurs récits de témoins, le rapport identifie les anciens « chefs de zone » des anti-Balaka de la région comme étant responsables de la plupart des incidents recensés.
Le rapport conclut que les actes perpétrés à Boyo pourraient constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
« Étant donné que ces mandataires sont d’anciens combattants de divers groupes armés ou des anti-Balaka, les conséquences possibles pour la cohabitation pacifique des communautés en République centrafricaine sont très inquiétantes », a déclaré Hanan Talbi, directrice de la Division des droits de l’homme de la MINUSCA.
Le second rapport repose sur quatre missions d’enquête dans les préfectures du Mbomou et de la Haute-Kotto, ainsi que sur le travail régulier d’observation et d’établissement de rapports de la Division des droits de l’homme. Il relate en détail les violences sexuelles liées aux conflits commises entre décembre 2020 et début mars 2022 par des membres du Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC) et de l’UPC, tous deux affiliés à la Coalition des patriotes pour le changement (CPC).
La CPC est composée de six groupes armés qui ont signé l’accord de paix du 6 février 2019 (Accord politique pour la paix et la réconciliation en Centrafrique), mais l’ont ensuite dénoncé, décidant de boycotter violemment les élections du 27 décembre 2020 et de tenter de prendre le pouvoir par la force.
La CPC est parvenue à prendre le contrôle de plusieurs régions, dont les préfectures du Mbomou et de la Haute-Kotto, une région riche en ressources naturelles telles que l’uranium, l’or et les diamants, où elle a commis des atteintes flagrantes aux droits humains et de graves violations du droit international humanitaire, en particulier des violences sexuelles.
Le rapport indique que « [l] es cas de violences sexuelles documentés par la MINUSCA dans les préfectures du Mbomou et de la Haute-Kotto confirment que les VSLC sont commises de manière systématique et généralisée [par le FPRC et l’UPC] ». La MINUSCA continue de recenser des cas similaires dans les zones sous le contrôle de ces groupes armés, ce qui indique que ce type de violences continue d’avoir lieu.
Selon les informations recueillies au cours de la période considérée, 245 femmes et filles ont été victimes de violences sexuelles. La plupart des victimes, âgées de 8 à 55 ans, ont subi des viols collectifs. Certaines des pires violences ont été commises dans la ville de Bakouma, dans la préfecture du Mbomou, ville qui était sous le contrôle des groupes armés jusqu’en mai 2021.
Les victimes ont été violées alors qu’elles allaient chercher de la nourriture dans la brousse ou au marché, indique le rapport. Il arrivait également que des groupes armés du FPRC aillent chercher les jeunes femmes ou filles à leur domicile et les ramènent à leur base afin de les violer, parfois collectivement. Certaines victimes étaient libérées, mais d’autres étaient retenues comme esclaves sexuelles et violées à de multiples reprises pendant plusieurs jours.
« Ce niveau sans précédent de violence sexuelle en République centrafricaine est choquant et bouleversant », a déclaré la Haute-Commissaire.
« Les récits cruels racontés par des victimes d’esclavage sexuel et de violence sexuelle décrivent des crimes n’ayant jamais dû se produire. Il est pourtant alarmant de constater que non seulement ces actes ont été commis, mais qu’ils le sont encore. Ces atrocités sont absolument inacceptables et il faut y mettre fin immédiatement », a déclaré Mme Bachelet, en exhortant le Gouvernement centrafricain à prendre des mesures urgentes, dans le plein respect du droit international, pour reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire et rétablir l’autorité de l’État dans le cadre de l’état de droit. La Haute-Commissaire a reconnu et salué les mesures prises par les autorités judiciaires et d’autres institutions de l’État pour enquêter sur ces allégations, tout en soulignant l’importance de veiller à ce que tous les auteurs de crimes répondent de leurs actes pour briser le cycle de l’impunité.
Les deux rapports contiennent une série de recommandations, notamment celle d’exhorter les groupes armés à mettre fin à toutes les attaques et représailles contre la population civile, y compris les actes de violences sexuelles, ainsi qu’à déposer les armes et reprendre le processus de paix, qui constitue la seule solution viable pour une paix et une réconciliation durable en République centrafricaine. Les recommandations du rapport appellent également le Gouvernement de la République centrafricaine à mettre en place des mesures concrètes et efficaces pour protéger les civils et prévenir de futures violations des droits de l’homme et d’atteintes à ces droits dans les zones affectées par la violence et le conflit armé.
FIN
Le rapport complet sur le village de Boyo est disponible ici : https://www.ohchr.org/fr/documents/country-reports/rapport-denquete-sur-lattaque-de-boyo-prefecture-de-la-ouaka-du-6-au-13
Le rapport complet sur les préfectures du Mbomou et de la Haute-Kotto est disponible ici : https://www.ohchr.org/fr/documents/country-reports/rapport-sur-les-violences-sexuelles-liees-aux-conflits-commises-par-le