Spécialiste des droits de l'homme en service au CNUDHD-AC depuis 2015, Pie Ntakarutimana, 61 ans, s'est éteint à Ottawa le 26 août 2022 des suites de maladie.
Véritable icône des droits de l'homme dans son pays, le Burundi, Pie Ntakarutimana est un militant des droits de l'homme qui manquera à sa famille, à ses collègues mais aussi aux différents acteurs des droits de l'homme qui ont cheminé avec lui depuis 1998. La maladie a eu raison de sa dernière bataille le 26 août 2022 à Ottawa au Canada. Jusqu'au bout sa bonne humeur légendaire n'aura pas quitté son corps meurtri.
Cette humeur positive qui aura frappé tous ceux qui ont connu Pie Ntakarutimana cachait un drame qui s'est abattu sur sa famille lors du génocide des Tutsis au Burundi en 1993. Il y a perdu quasiment tous les siens et en gardera une blessure profonde, même s'il avait fini par accorder son pardon aux acteurs de cette barbarie. Lors d'un documentaire radiophonique produit sur sa vie et intitulé "Pie Ntakarutimana, Vivre debout", produit par RCN Justice & Démocratie, il disait ceci :" Si je peux ne pas me retrouver en face de l'assassin de ma mère qui a grandi dans notre maison et que j'ai aidé avec ma bourse d'étudiant, je préfèrerai. Mais s'il souhaite me voir, je suis aujourd'hui prêt à le faire".
Pie Ntakarutimana, ingénieur électromécanicien de formation, mais aussi titulaire d'un Master en droits de l'homme et résolution des conflits et d'un diplôme de spécialisation en droits économiques, sociaux et culturels, va alors dédier le reste de sa vie à la défense et la promotion des droits de l'homme. Flaubert Djateng, Coordonnateur de Zenü Network, réseau d'OSC basé au Cameroun et ancien cadre du Service Civil pour la Paix, s'exprimant au nom des Bâtisseurs de paix oeuvrant dans la région des Grands Lacs, "regrette la disparition d'un homme passionné par la justice transitionnelle". Et cela se comprend, puisque Pie Ntakarutimana avouait dans le documentaire qui lui est consacré que "nous avons un système judiciaire qui n'est pas capable de répondre aux besoins de justice aujourd'hui. Les différents gouvernements qui se sont succédé n'ont pas suffisamment investi dans ce secteur. C'est un système qui était considéré comme un des éléments des causes du conflit, car dominé par une seule ethnie. Ce qui a contribué à nourrir le cycle de violence". Et il y ajoute : "Il faut que ceux qui ont commis des crimes puissent s'inquiéter. Il serait superflu de croire qu'ils peuvent tous aller en prison. Mais qu'ils puissent s'inquiéter et parviennent à confesser et reconnaître qu'ils ont posé des actes qui ne sont pas acceptables, des actes inhumains".
Dès 1996, il est Coordinateur des programmes à l'Institut pour la Promotion de la Démocratie et le Développement Intégré (IPDDI). De 1998 à 2002, il est le président de la Ligue burundaise des droits de l'homme ITEKA. Après un bref passage à CARE Burundi, il rejoint la section burundaise d'ACORD, une Ong britannique qu'il quitte pour devenir de 2004 à 2006 vice-président de la Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH).
En 2007, il est recruté aux Nations Unies, notamment au Haut-Commissariat des Droits de l'Homme où il fera carrière. D'abord au sein du Bureau pays du Burundi (2007-2011) où il a travaillé au sein de l'unité de Justice transitionnelle, puis au Bureau pays du Togo de 2011 à 2015 et enfin au Bureau régional à Yaoundé dès 2015.
Contrairement à ce qu'il regrettait en disant "au lieu de voir l'essentiel, les gens se cantonnent à ce qui est superficiel", tous gardent de lui l'essentiel. Michèle Bachelet, la Haut-Commissaire aux Droits de l'Homme, saluant sa mémoire, évoque un collègue qui "a assisté les pays [d'Afrique Centrale] dans la coopération avec les Mécanismes des droits de l’homme et dans l’atteinte de leurs obligations en matière de droits de l’homme". Nouhoum Sangaré, le Représentant Régional pour l'Afrique Centrale du Haut-Commissariat aux Droits de l'Homme et Directeur du CNUDHD-AC parle de lui comme "un collègue dont le professionnalisme et la générosité manqueront". Ses collègues du CNUDHD-AC gardent de lui, l'image de "quelqu'un débordant de joie", "un homme impressionnant par son parcours et ses qualités humaines", "un grand orateur", "un collègue d'une grande disponibilité", "le meilleur d'entre nous" ou encore "un grand trésor pour le monde".
Pie Ntakarutimana était marié et père de 3 enfants.